Les histoires de Nanou

   Il était une fois dans un royaume fort reculé, une petite fille dont les parents étaient très pauvres. Pendant que la mère plantait des légumes bio dans le jardin pour nourrir sa famille, son père coupait du bois renouvelable dans la forêt pour le vendre aux gens qui ne savaient pas se servir d’une hache.

  La petite fille, elle, écrivait des chansons. Ce qui n’était pas vraiment au goût de sa mère.

- Tes chansons ne se mangent pas et ça m’étonnerait qu’elles se vendent. Apprends donc à coudre, ça pourra nous aider.

  Mais son père ne partageait pas cet avis.

- C’est une enfant, laisse-la donc en profiter tant qu’elle le peut. Les difficultés de la vie la rattraperont bien assez tôt.

  Ainsi la fillette continua à écrire des chansons.

  Un jour d’hiver particulièrement froid, elle se trouvait près de l’étang et réfléchissait à une nouvelle chanson, tout en dessinant des formes géométriques dans la neige avec un bâton. Elle n’entendit pas les pas derrière elle.

- A quoi tu joues toute seule ?

  Elle continua de dessiner dans la neige.

- Je ne joue pas, je réfléchis. Dis-moi, qu’est-ce qui rime avec marmite ?

- Cosmopolite ? Interdite ? Mite ? Mythe !

  Elle fronça les sourcils puis dit :

- Ok, je note.

  Puis elle ne parla plus.

  Le jeune prince, car c’est de lui qu’il s’agissait, attendit un moment puis repartit vers le château en se demandant qui était cette étrange petite fille. Il réclama à sa nourrice un chocolat chaud et oublia toute cette histoire.

  Bien des années plus tard, devenu un homme, il se réveilla un matin au son de la musique. Il avait regardé la dernière saison de Game of Thrones une partie de la nuit et pensait faire la grasse matinée mais c’était la fête du printemps. La troupe de troubadours du village chantait sous sa fenêtre.

« Et je mettrai dans ma marmite 

Plein de bestioles cosmopolites 

Des mouches, des puces et puis des mites 

Et je mettrai dans ma marmite 

Un tas de substances interdites 

Mais non, tout ça c’est juste un mythe

Car j’aime beaucoup trop ma marmite »

  Le public tapait frénétiquement des mains et même le prince sortit la tête de sous sa couette pour mieux écouter. Aux tréfonds de sa mémoire, quelque chose frémit, comme un impression de déjà-vu.

- J’ai déjà entendu ça quelque part. La musique d’une pub ? Un clip sur YouTube ? Une chanson sur Deezer ?

  Mais il ne parvenait pas à retrouver ce souvenir. Il descendit de sa haute tour et alla sur la place du village où le peuple s’était réuni pour fêter le printemps. Il vit la jeune chanteuse, qui jouait également du tambourin. Elle portait une robe à paillettes qui virevoltait au gré de ses mouvements de manière fort gracieuse. Le Prince était médusé. Et de nouveau, cette impression de déjà-vu l’envahit.

  Il remonta dans sa chambre à la vitesse de l’éclair et alluma son PC. Il ouvrit une page web et demanda à l’oracle Google de répondre à ses questions.

  Il cliqua sur « dans ma marmite » et tomba sur la page Wikipédia de la chanteuse. L’article ne citait pas suffisamment ses sources et en plus ne donnait aucune information qu’il ignorait.

  Alors il dût prendre une décision royale, dure mais nécessaire.

  Il fit arrêter la chanteuse pour manifestation sur la voie publique. Les gardes royaux se firent huer par le public mais rien n’y fit, la jeune fille fut enfermée en prison.

  Le prince alla la trouver dans sa cellule. Elle était assise par terre en tailleur, le menton au creux de sa main, le coude posé sur son genou. Lorsqu’elle le vit, elle se releva dans un froissement d’étoffe. Même dans la lumière tamisée de son cachot, sa robe scintillait toujours.

- Qui es-tu ? demanda-t-il

- Une chanteuse de rue, c’est tout. J’ignorais que c’était un crime.

- J’ai l’impression de te connaître…

- C’est pour ça que tu m’as fait arrêter ? Tu aurait pu m’inviter à diner, ç’aurait été moins désagréable. Quoique, grâce à toi, j’ai sensiblement augmenter le nombre d’abonnés à mon compte Instagram..

- Oui, mais qui es-tu ? Ta chanson me rappelle des souvenirs.

- Pourtant, elle est à moi. Même si c’est vrai qu’un petit garçon m’a donné l’idée de certains mots.

- Quels mots ?

- Mite. Mythe. Interdite…

- Cosmopolite ! s’exclama-t-il

- Oui. Comment le sais-tu ?

- C’est moi le petit garçon. Tu étais près de l’étang un jour d’hiver. Je me souviens maintenant.

- Voilà qui résout le mystère. Je peux partir maintenant ? Mon agent dit que je peux remplir l’AccorHotel Arena si je veux.

- Mais attends…

- Que j’attende quoi ? Ah, tu veux qu’on filme une story ensemble ? Facebook ? Insta ? Snapchat ?

- Mais non. Comment se fait-il que tu ne sortes cette chanson que maintenant ?

- Je n’avais pas le choix, mes parents ont été arrêtées il y a quelque jours alors il faut que je gagne de quoi leur payer un avocat. Tout ce que je sais faire, c’est des chansons.

- Ils ont été arrêtés pourquoi ?

- Un jour, ils ont mis un pourpoint jaune et sont allés à la fontaine où les chevaux font demi-tour. Ils ont été pris à partie par la police et jetés dans un cachot.

- Ce sont des pourpoints jaunes ??

- Non, ils allaient chez ma tante, et le thème de la soirée était la couleur jaune.

- Pas de bol…

- Comme tu dis…

- Alors c’est simple. Je les fais libérer. Et toi…

- Et moi ?

- Et toi… J’aimerais t’écouter chanter toute ma vie.

- Donne-moi ton mp3, je vais le paramétrer.

- En live.

- Ah. Tu veux que je sois intermittente à plein temps pour le château ? Vous avez une bonne mutuelle ?

- Je voudrais plutôt faire de toi ma reine en CDI. Après tout, tu règnes déjà sur mon cœur.

- Je double-tape ce que tu viens de dire.

- C’est un double-oui ?

- On va commencer par un simple, après on verra.

- D’accord, alors tu me le diras en chanson.

- Je valide !

Fin ( A. B )