Les histoires de Nanou

Les histoires de Nanou

La fillette et le vieil homme

 

  Il était une fois, dans de lointaines montagnes, une petite fille solitaire. Bien qu’elle avait une grande famille, constituée de ses parents, ses frères et sœurs, ses oncles, tantes et cousins qui vivaient tous ensemble, elle aimait être seule. Lorsqu’on la cherchait pour une raison ou pour une autre, elle se trouvait souvent près de la rivière, perchée sur un arbre ou bien dans la grange à l’abri du bruit et du tumulte. Elle était gentille, serviable, mais si sa présence n’était pas requise, elle aimait être là où les autres n’étaient pas.

 

  Dans le même village vivait un vieil homme. Il était poli, rendait service quand il le pouvait, mais il passait le plus clair de son temps seul, à pêcher dans la rivière. Quand on lui demandait s’il ne s’ennuyait pas, il répondait que les poissons lui tenaient compagnie. Si certains sous-entendaient qu’il n’avait peut-être pas toute sa tête, la plupart des villageois haussaient les épaules. Après tout, il ne dérangeait personne.

 

  Un jour qu’il se trouvait assis au bord de la rivière, sa canne à pêche dans les mains, la petite fille arriva. Voyant que les lieux étaient occupés, elle s’arrêta net. Elle était contrariée parce que le vieux monsieur lui avait pris le meilleur spot, le plus instagrammable des environs, avec la dose parfaite de verdure, de montagne, d’ombre et de soleil. Elle s’approcha malgré tout. Et c’est lui qui fut contrarié : ses pas dans l’herbe faisaient fuir les poissons.

  - Comment une si petite fille peut-elle faire autant de bruit ? On dirait un éléphant dans un magasin de porcelaine !

  - Vous exagérez, mes Stan Smith ne font pas un son !

  - Va donc dire ça aux poissons.

  - Les poissons n’ont pas d’oreilles.

  - Peut-être mais ils sentent quand ils sont dérangés.

  - C’est peut-être l’hameçon et son piège grossier qui les dérangent.

  Le vieil homme haussa le sourcil. Voilà une fillette bien effrontée... Il décida de changer de tactique.

  - Comment se fait-il que tu erres toute seule près de la rivière ? Ce n’est pas très raisonnable de se promener au bord de l’eau.

  - Pas d’inquiétude, j’ai appris à nager, j’ai vu énormément de tutos YouTube avant de me lancer.

  - Des quoi sur quoi ?!

  - Des cours en vidéos.

  - Ah. Tu aurais pu le dire comme ça.

  - J’aurais pu oui. En 1999.

  Il leva les yeux au ciel. Elle s’assit en essayant de faire le moins de bruit. Ils passèrent l’après-midi dans le silence le plus absolu, conscient de la présence l’un de l’autre sans pour autant en être gêné. Lorsque le soleil se mit à décliner, le vieil homme se leva, ramassa ses affaires, puis partit sans un mot.

  La fillette resta un moment près de la rivière, lança quelques cailloux dans l’eau pour conjurer ces heures de silence, puis entendit sa mère l’appeler. Pour elle aussi, il était temps de rentrer.

 

  Le lendemain, elle trouva de nouveau le vieil homme à sa place. Cette fois, elle se glissa près de lui sans bruit et vaqua à ses silencieuses occupations : regarder la rivière, observer le ciel, faire une sieste dans l’herbe, prendre des selfies. Lorsqu’elle sortit sa liseuse, il lui demanda à quoi servait cette plaque lumineuse. Elle lui expliqua le principe du e-book, qui lui plut beaucoup. Il lui emprunta sa tablette, et lorsqu’elle lui opposa qu’elle n’avait plus rien à lire, il lui prêta son livre. Elle aima ce concept qui lui permettait de savoir où elle en était dans sa lecture, et de souligner les passages qui lui plaisaient particulièrement.

  A l’heure du goûter, il lui offrit des petit-beurre et elle des Oréos. Chacun fut ravi. Le lendemain, il lui donna des Pépitos et elle des Granolas. Leurs subtiles différences les firent sourire.

  Leur relation était devenue cordiale mais ils parlaient peu. Jusqu’au jour où la petite fille vint en pleurs.

  - Qu’est ce qui se passe ?

  - Rien. Je n’ai pas envie de parler.

  - Très bien...

  - Mais vous, vous pouvez parler. J’ai oublié de prendre mon IPod, ça me changera les idées.

  - Qu’est-ce que tu veux que je te dise ?

  - Ce que vous voulez. Racontez-moi une histoire.

  Alors contrairement à ses habitudes, il parla. Il lui raconta l’histoire d’un petit garçon espiègle qu’elle le soupçonnait d’avoir été. Fascinée, elle ne l’interrompit pas, et ce n’est qu’à la fin de l’histoire qu’elle se rendit compte que ses problèmes n’étaient plus si graves.

  Les jours suivants, bien qu’elle ne soit pas en larmes, il continua de lui raconter des histoires, parfois tristes, parfois drôles, mais toujours inattendues. Il était aussi content de parler qu’elle l’était d’écouter.

 

  Mais un jour, la fillette ne vit pas le vieil homme à son endroit habituel. Ni le lendemain. Ni le jour d’après. Bien que personne ne lui ait rien dit, elle savait qu’il ne reviendrait plus...

Elle cessa d’aller seule à la rivière et presque sans s’en rendre compte, pour passer le temps, elle se mit à raconter des histoires aux enfants de la famille. D’abord celles du vieil homme, puis celles qu’elle inventa. Très vite, les adultes de la famille s’ajoutèrent à son public, et bientôt les villageois se mirent à venir l’écouter. Sa notoriété fit le tour des villages alentours.

 

  Bien que le vieil homme ait laissé un vide, elle ne fut plus jamais seule.

 

  Nanou

 



10/06/2019
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